
Depuis plusieurs années, des rapports accablants dénoncent ces pratiques. Mais ces dernières semaines, le phénomène prend une dimension encore plus dramatique. L’Algérie, confrontée à des tensions diplomatiques multiples, multiplie les refoulements massifs de migrants subsahariens, au mépris total du droit international humanitaire.
La récente déclaration du président algérien Tebboune, le 23 avril 2025 à Béchar, ne laisse aucun doute sur l’intentionnalité politique de ces expulsions : « Je suis prêt à expulser des milliers par jour, je dis bien des milliers… Avec le Niger nous avions des accords; ils en sont sortis, ils assument leurs responsabilités. » Ces paroles transforment une tragédie humanitaire en aveu explicite d’instrumentalisation politique des vies humaines.
Le « Point Zéro » : antichambre de l’enfer
Ce que les rapports humanitaires désignent sobrement comme le « Point Zéro » est devenu l’épicentre d’une souffrance indicible. Situé en plein désert, à environ 15 kilomètres d’Assamaka, première localité nigérienne, cet endroit est devenu le théâtre d’abandons forcés, dans des conditions qui défient l’imagination.
Les migrants sont déposés brutalement dans cette zone désertique, dépouillés de leurs biens, sans eau ni nourriture, et contraints de marcher pendant des heures sous une chaleur mortelle. Beaucoup n’arrivent jamais à destination. Selon les témoignages recueillis par les équipes d’Alarme Phone Sahara, plusieurs corps ont été découverts entre le Point Zéro et Assamaka rien qu’en avril 2025.
« On est 150 migrants sénégalais coincés dans le désert, témoigne, à ses côtés, un compatriote. Il y a urgence, certains sont blessés. » Le centre de santé d’Assamaka, géré par les équipes de Médecins sans frontières (MSF), est en effet débordé par l’afflux de migrants. Dans une vidéo transmise aux médias, un autre Sénégalais, Mohamed Diallo, montre les traces de brûlure qui constellent ses bras et son torse. « Un lynchage », survenu à Tamanrasset, la dernière ville du Grand Sud algérien, assure Mouhamadoul Makhtar Thiam. « Il est souffrant, on doit l’évacuer au plus vite », s’énerve-t-il, alors que l’Algérie multiplie les refoulements massifs.
Témoignages de l’horreur
Le 24 avril 2025, la Radiotélévision du Niger (RTN) a donné la parole aux survivants de cette tragédie. Leurs récits, glaçants, ne laissent aucune place au doute.
Un migrant guinéen raconte avoir été battu sauvagement par les forces de l’ordre algériennes. Selon lui, les citoyens des pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) sont systématiquement visés. Il témoigne aussi de la disparition mystérieuse d’un de ses amis Hausa, arrêté puis jamais revu. « Quand j’ai montré ma carte d’identité guinéenne, ils ont ri et ont frappé encore plus fort », explique-t-il, le visage encore tuméfié.
Une femme béninoise, le crâne rasé, relate les violences sexuelles qu’elle a subies après son arrestation. Déshumanisée, humiliée, elle reste profondément marquée par cette barbarie. « Ils nous ont enfermées à plusieurs dans une cellule sale. La nuit, les gardes venaient. Ils choisissaient parmi nous. Celles qui résistaient étaient battues devant les autres. Après, ils nous ont rasé la tête, comme pour nous marquer », témoigne-t-elle, le regard perdu dans un horizon invisible.
Une bombe humanitaire en préparation
À mesure que le nombre de migrants refoulés augmente, la situation se tend dangereusement dans les zones frontalières nigériennes, notamment à Assamaka. Les camps d’accueil improvisés débordent. L’aide humanitaire, déjà insuffisante, est au bord de l’épuisement.
Les chiffres récemment communiqués par les responsables sécuritaires d’Assamaka sont édifiants : entre le 1er et le 21 avril 2025, pas moins de 2.753 ressortissants nigériens, dont 308 mineurs et 196 femmes, ont été refoulés d’Algérie via les convois dits « officiels ». Ces données ne prennent même pas en compte les milliers d’autres migrants subsahariens livrés à eux-mêmes, abandonnés hors de tout cadre formel.
Dans la même période, 2.222 personnes supplémentaires ont été expulsées dans des convois dits « non-officiels » – dont 146 Nigériens et 2.076 ressortissants d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Tous ont été contraints de marcher à travers le désert depuis le Point Zéro.
Le village d’Assamaka, petit avant-poste désertique aux ressources limitées, se retrouve submergé. Les expulsés, souvent blessés, malades, traumatisés, s’entassent dans les rues poussiéreuses, sans abri adéquat, avec un accès limité à l’eau potable et aux soins médicaux essentiels.